La presqu'île de Noto

Publié le par gsell

Qui l'eût dit ? Deux professeurs retraités, moi de l'enseignement supérieur français et Takatsugu Mogami du secondaire japonais (que j'appellerai familièrement "Taka" par la suite) se rencontrent pour le plaisir de parler de langues et de civilisations. Retraités mais encore actifs à l'université de Kanazawa, Taka pour enseigner l'anglais et moi la mécanique des polymères. De plus, il aime parler en français qu'il maîtrise assez bien malgré un manque de pratique. 

Qui l'eut cru ? Une rencontre improbable à l'assemblée générale du club franco-japonais de Kanazawa. Il suffit que je lui dise que Gilberte et moi aimerions visiter la presqu'île de Noto pour que, spontanément, il propose de nous y conduire avec sa voiture à l'occasion d'un week-end. Décidément, tous les japonais que nous rencontrons sont aux petits soins pour nous ! Il faut dire aussi que ma demande l'a touché au cœur, car Taka est né dans le petit village de Hakui, au sud de la presqu'île. Cette bourgade est devenue depuis une ville sans âme, où il possède encore une vieille maison de famille désormais cernée de toutes parts par d'autres constructions. Il ne s'y sent plus chez lui.  Il a d'ailleurs prévu de la céder à son neveu à son décès. Noto reste toutefois pour Taka le lieu de ses jeux d'enfants, de sa découverte de la nature et de l'apprentissage du savoir primaire. Bref, un endroit qu'il aime et dont il apprécie de faire connaître les charmes. 

Du projet à l'exécution, tout se fait par mails (comment aurions-nous pu vivre au Japon sans Internet ?) Rendez-vous est pris ce matin à 8h00 au pied de notre résidence où il nous embarque dans sa puissante Toyota. En route pour l'aventure, avec un trajet de près de 400 kilomètres, en prenant en compte les allers-retours imposés par de petites erreurs de navigation (le sens de l'orientation de Taka étant inversement proportionnel à sa gentillesse !) Mais qu'importe, il fait un temps superbe et une température qui grimpe en journée jusqu'à 27 degrés (tandis qu'il neige encore sur les Vosges !) 

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Nous quittons Kanazawa vers le nord en empruntant la route 159 qui longe le littoral de la mer du Japon. Quand je dis "longe", c'est vraiment "longe". A tel point que sur une dizaine de kilomètres, la route et à deux pas du "Beach Driveway" une immense plage de sable fin sur laquelle les véhicules ont le droit de rouler au bord de l'eau. Avec le ciel bleu, le soleil éclatant et la mer calme, c'est une expérience inoubliable. 

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Ou bifurque ensuite au nord-est vers Nanao, un port de pêche très actif qui affiche fièrement sa sympathie avec la côte Pacifique des USA, au point que le quai est baptisé "Fisherman's Wharf" et que la station organise chaque année un festival de jazz en relation avec Monterey, Ca. La richesse de Nanao est née de son emplacement exceptionnel au fond d'une immense baie protégée des éléments marins par la grande île de Notojima. D'où le succès de la pêche au poisson et de la récolte des fruits de mer, y compris d'huîtres géantes que des plongeurs vont cueillir sur le fond. Mais ce n'est pas tout : les environs offrent aux touristes des parcs naturels, des sources thermales et un accès à l'île de Notojima par deux grands ponts en dos d'âne. Il y a là de quoi passer de superbes vacances au sein de la nature et dans le calme, car l'éloignement de Tokyo dissuade un peu les touristes. Tant mieux pour nous. Nous ne pouvons toutefois pas nous éterniser à chaque endroit, aussi beau soit-il. Nous prenons alors la grande route qui passe à côté de l'aéroport local et traverse le nord de la presqu'île par son épine dorsale, au travers d'un paysage sauvage de collines (environ 600 mètres), de vallons encaissés, de petites rizières et de zones naturelles protégées. A part cette voie rapide, tout cela est accessible par un entrelacs de routes secondaires où seul un japonais saurait se retrouver. 

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Après 70 kilomètres de conduite environ, nous débouchons sur la baie de Iida, à l'extrémité nord-est, qui nous réserve une surprise très pittoresque. A Mitsuke, la côte sablonneuse est flanquée, à une centaine de mètres du rivage, d'une tour naturelle rocheuse d'un jaune paille éclatant et surmontée d'une touffe de végétation. Avec sa forme profilée, elle rappelle la proue d'un navire. De plus, un amoncellement linéaire de pierres permet aux touristes, en sautant de l'une à l'autre au raz de l'eau, de rejoindre la base du rocher où la balade se termine. Quel beau jeu pour les petits japonais (et pour les grands comme moi aussi !) 

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La route 249 traverse la pointe de la presqu'île en empruntant des tunnels et rejoint de nouveau la mer du Japon. La colline y est très abrupte, avec une bande côtière étroite où se sont développées des activités de production de sel par évaporation de l'eau de mer dans de grandes bouilloires chauffées avec du bois récolté dans les forêts de l'intérieur. Près d'une de ces installations, nous allons déjeuner d'un superbe repas de poisson cru dans un restaurant typique dont les larges baies offrent une vue imprenable sur la mer. 

Un peu plus loin, au bout d'une petite route qui s'enfonce dans les collines, nous visitons une maison remarquable isolée dans une grande clairière au milieu de la forêt. Elle date de 1185, quand elle fut construite pour servir de lieu d'exil pour le samouraï Taira Dainagon Tokiada, qui était le chef du clan qui régnait jusqu'alors à Kyoto, mais qui fut défait dans une lutte sans pitié par le clan adverse Dan No Ura. Le nouveau prince condamna le samouraï à la réclusion à perpétuité. Il n'était pas question, toutefois de l'enfermer dans un cul de basse fosse, eu égard à son rang (il faut rester correct quand on s'entre-déchire entre samouraïs !) Il fut donc décidé qu'il irait finir ses jours sur la presqu'île de Noto. Transporté en bateau avec sa famille et ses serviteurs, il y resta prisonnier jusqu'à l'âge de 60 ans, sous la surveillance sévère d'une quinzaine de gardes. Autant dire que la nouvelle maison-prison de la famille Tokikuni (c'est le nom générique de ce clan) est une véritable splendeur. De décors riches et sobres tout à la fois, comme toutes les maisons traditionnelles du Japon, elle est abritée sous une grande charpente et, dans tous ses pièces qui communiquent par des portes coulissantes, le plafond est orné de boiseries à caissons et le sol est recouvert de tatamis disposés selon une un arrangement adapté au rang des diverses catégories d'habitants. La maison a été aménagée en musée et présente les accessoires de la vie médiévale d'il y a plus de 800 ans (peu de maisons en France contiennent des éléments aussi anciens). 

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De retour sur la route côtière, nous continuons vers le sud-ouest jusqu'à un parking qui surplombe la mer et un adorable vallon aménagé en rizières étagées. C'est un véritable chef-d'œuvre qui évoque les immenses terrasses dont la Chine du sud, le Vietnam et l'Indonésie ont fait leur attraction touristique la plus remarquable. Ici, le spectacle est en modèle réduit mais ne manque pas de charme pour autant. Ces rizières ont de plus la particularité intéressante d'être partagées entre de multiples exploitants. Propriété publique, chaque mini-terrasse est louée à quiconque s'engage à l'entretenir avec soin dans le respect des autres "riziculteurs". Cela semble bien marcher car tout un nouveau versant du vallon est en cours d'aménagement pour créer de nouvelles rizières qui satisferont plus de volontaires et rendront le site encore plus intéressant pour les touristes de passage. 

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Encore une dizaine de kilomètres et nous arrivons à la station de Wajima où Taka a prévu la dernière attraction de la journée : la visite au musée de la ville. Il s'agit d'un immense hall dont la charpente est à plus de 10 mètres du sol. Il faut bien cela pour accueillir les "Kirikos", ces temples portables que l'on sort une fois par an à l'occasion de la fête de fin d'été. Toutefois, qu'on ne se méprenne pas sur le terme "portable". Ces panneaux de bois décorés de peintures, de bannières et de lanternes multicolores nécessitent chacun une centaine d'hommes costauds pour les transporter en procession dans les rues de la ville est même jusque… dans la mer où les porteurs pénètrent avec de l'eau jusqu'à la poitrine. Outre son intérêt touristique, cette manifestation est destinée à attirer les bonnes grâces des dieux pour favoriser une récolte abondante dans les rizières de la région et apporter le bonheur à toute la population. Comme il se doit, elle est l'occasion de défilés costumés où le bien et le mal s'affrontent sous la forme de jeunes filles attrayantes et d'hommes monstrueux aux masques effrayants. On connaît cela aussi dans beaucoup de villages français, mais ici la fête prend des proportions invraisemblables et s'achève par l'embrasement d'une immense structure en bois. Un gigantesque feu de la Saint-Jean, en quelque sorte. La fête de Wajima a d'ailleurs fait des émules dans d'autres sites de la presqu'île de Noto où, de début juillet à fin septembre, on construit et décore des Kirikos géants pour des processions plus trépidantes les unes que les autres. N'importe où dans le monde, de tels délires collectifs seraient l'occasion de débordements incontrôlables qui, détournés de leur caractère festif initial par des bandes de casseurs, tourneraient vite au vandalisme, au pillage et à la violence. Mais ici, nul ne songerait à transformer cette excitation festive en actes de barbarie. Nous sommes au Japon, pays de la sérénité et du respect des institutions. 

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Sortis du musée il est temps de prendre la route du retour et, avant de rejoindre la voie rapide au sud de Togi, nous avons encore le plaisir de voir le soleil voilé descendre sur l'horizon. Le "pays du soleil levant" est ce jour-là celui du couchant, et c'est au début de la nuit que nous rejoignons Kanazawa au terme d'une ultime étape d'une centaine de kilomètres.

Publié dans 2013 - JAPON

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