Avec l'équipe de sumo

Publié le par gsell

Lors d'une rencontre précédente avec M. Yamada (l'irremplaçable M. Yamada, de la municipalité de Kanazawa, qui aura été notre chaperon pendant tout notre séjour au Japon), je lui avais parlé de sumo. Je lui avais dit que je trouvais fascinant cette discipline, à la frontière entre le sport et l'engagement spirituel, et lui avais demandé s'il pourrait nous faire assister à un match de sumo. Comme il considérait que notre mission à Kanazawa avait une importance essentielle pour la Municipalité, il s'était mis en chasse pour trouver une bonne opportunité. En fin de compte, il n'y avait pas de match pendant la période qui nous convenait mais, en revanche, le "coach" de l'équipe du Lycée Professionnel Municipal de Kanazawa était prêt à nous recevoir, à nous faire assister à un entraînement et à répondre à toutes nos questions concernant cet art martial si particulier.

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Ainsi, ce samedi à 14:00, nous arrivons dans ce vaste lycée où 709 élèves séjournent 3 années universitaires pour des études de premier cycle orientées vers un métier industriel (mécanique générale, carrosserie, génie civil, électronique, informatique…) ou, pour les meilleurs, vers un second cycle universitaire. M. Iosaki, coach de la classe de sumo, nous explique que son sport figure parmi les nombreuses autres activités périscolaires proposées aux étudiants : musique, théâtre, arts plastiques, sports individuels et collectifs, etc.

Toutefois, le sumo nécessite une hygiène de vie plus stricte, un investissement moral hors du commun et un grand respect d'autrui. Les pratiquants du sumo (appelés "rikishis") forment une petite communauté à part au sein de l'établissement, facilement reconnaissables par leur masse imposante (jusqu'à 155 kg). Ils sont tous internes, travaillent ensemble et logent ensemble. Bien entendu ils suivent un régime hypercalorique, principalement à base de riz, pour obtenir cette masse de muscles (pas de graisse, d'après ce que l'on nous affirme). De plus, ils doivent se soumettre à un programme d'entraînement quotidien.

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C'est à une séance de ce type que nous assistons, sagement assis sur une estrade garnie de coussins et occupant tout un côté d'une salle spécialement consacrée au sumo. Deux affrontements de lutteurs s'y déroulent simultanément, limités dans l'espace par des pistes circulaires (les "dohyos"), de 4,55 m de diamètre, dont le sol est couvert d'un revêtement spécial à base d'argile tassée. Le coach veille au grain pour que les combats soient forts mais réguliers. Avant de commencer, l'un des participants disperse sur le sol une poignée de sel dont le rôle, hautement symbolique, est de chasser les mauvais esprits, d'éviter les blessures, et de favoriser le fair-play.

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Voici le moment arrivé. Deux rikishis entrent sur l'un des dohyos, vêtus en tout et pour tout du "mawashi", cette bande de tissu épais de 9 à 14 mètres de long (selon la corpulence), qui ceint solidement la taille et protège l'entrejambes. Les lutteurs se toisent du regard, non sans agressivité mais avec infiniment de considération, voire d'admiration (indispensable, d'après le coach, pour concilier le choc viril et le respect des règles). Les camarades des lutteurs les entourent et les encouragent par des cris brefs et puissants qui font monter la tension, palpable, dans l'assistance. La position de départ est rituellement accroupie près du sol. Pas question de se sauter dessus sans crier gare ! Le signe qu'un lutteur est prêt au combat est de poser les deux poings sur le sol. Quand les quatre poings touchent l'argile, le combat peut commencer ! Les deux rikishis se précipitent l'un sur l'autre avec une énergie incroyable et s'entrechoquent avec un rugissement de fauve. Le but est de saisir le mawashi de l'adversaire dans la position la plus favorable possible pour le pousser au-delà de la petite bordure qui limite le dohyo. Parfois le combat ne dure pas plus de 10 secondes, l'un des rikishis étant immédiatement déséquilibré et projeté hors du cercle sous la poussée puissante de son adversaire. Dans d'autres cas, le combat réserve des surprises : reprise d'équilibre, changement de pied, glissement sur  la surface argileuse… La victoire de tel ou tel est gratifiée par les autres, y compris par son propre adversaire, qui émettent des cris de sympathie, mais sans culte de la personnalité. Ce qui fait gagner, c'est l'implication personnelle, la confiance en soi, voire le soutien des dieux shinto (bien que le côté religieux tende à s'estomper chez les jeunes). La masse du lutteur est importante, certes, mais les règles ne distinguent pas de catégories spéciales comme à la boxe. On considère que la force d'inertie inférieure d'un rikishi plus léger est compensée par sa mobilité supérieure. Il faut tout de même être prudent. Les articulations subissent des chocs très violents et, après plusieurs années de pratique, les lutteurs souffrent souvent de rhumatismes. C'est vrai pour le sumo, c'est vrai aussi pour les autres arts martiaux, l'athlétisme, les poids et haltères ou le football, on le sait bien.

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La plupart des rikishis du Lycée Professionnel Municipal de Kanazawa garderont, après la fin de leurs études, le beau souvenir d'une activité où l'agressivité n'était pas orientée "contre" ses camarades, mais sevait de catalyseur à une connivence entre copains partageant des valeurs fortes. Toutefois, pour quelques-uns parmi les plus doués, le sumo continuera à être leur passion comme lutteurs au sein d'une équipe professionnelle (jusqu'à l'âge limite de 23 ans) ou, comme  M. Iosaki, comme entraîneurs au service des jeunes émules. Actuellement, à Kanazawa, seuls les garçons ont le droit de choisir ce sport. Toutefois, la Fédération Japonaise de Sumo a ouvert cette discipline aux féminines. Je crains malheureusement que la féminité des lutteuses engagées dans ces combats n'en soit quelque peu altérée… à voir !

Comme il se doit, M. Iosaki nous a présenté de son art martial favori une vision pure est dure, lui même étant bénévole au lycée tout en étant professeur de mathématiques dans un collège de la ville. Le sumo serait-t-il à l'abri des dérives qui entachent tant d'autres disciplines sportives ? Malheureusement non. Bien qu'il ne soit pas classé parmi les sports olympiques, le sumo connaît aussi le "rififi", les combats truqués, les paris juteux, le dopage… Mais pour ces jeunes amateurs que nous avons vus à l'œuvre, il constitue (et c'est bien heureux) un chemin exigeant vers la performance et un avantage distinctif lorsque ces pratiquants se présenteront devant leurs futurs employeurs.

Publié dans 2013 - JAPON

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