Mademoiselle Li

Publié le par gsell

Lorsque nous avons mis le pied sur le sol japonais, le premier sourire féminin qui nous a accueillis a été celui… d'une jeune chinoise de 24 ans ! En effet, mon collègue Koh-Hei Nitta s'était fait accompagner pour la circonstance par Chun Yao Li, étudiante de nationalité chinoise qui a choisi le Japon comme terre d'accueil pour ses études de Master. J'ai toujours été fasciné par ces personnes qui n'hésitent pas à s'expatrier pour enrichir leur culture internationale, un peu comme moi peut-être… 

Mlle Li (je l'appellerai comme cela pour simplifier) est originaire de Wenzhou, une ville chinoise située à 400 kilomètres au sud de Shanghai, qui compte près de 8 millions d'habitants. Issue d'une famille aisée de commerçants du textile, elle a un jeune frère et… un oncle à Hokkaido (ce qui explique peut-être son attirance pour l'archipel nippon). Après ses études secondaires, elle quitte le cocon familial pour étudier pendant quatre ans en cycle de Bachelor à Chengdu  (à l'Université Pétrolière du Sud-ouest, dans le département de "Génie des Matériaux Polymères"). Chengdu est une autre "ville de province" qui compte plus de 14 millions d'habitants. Ses résultats sont bons, mais sans doute pas assez  pour être admise en Master par les universités les plus prestigieuses de Chine (Pékin, Shanghai, etc.), car la sélection est très dure en Asie pour accéder à l'enseignement supérieur. 

2013 05 20 - Wenzhou 2013 05 20 - Chengdu
2013 05 20 - Chateau de Kanazawa 2013 05 20 - Nasuchiobara

Vues de Wenzhou, de Chengdu, de Kanazawa et des environs de Nasuchiobara

Au cours de son cursus, elle passe un mois dans trois entreprises industrielles : du pétrole au monomère, du monomère au polymère et du polymère à la pièce finale (le tuyau plastique en l'occurrence). De plus, en quatrième année de Bachelor, elle réalise un projet bibliographique et expérimental sur les retardateurs de prise du ciment à base de poly(styrène sulfonate de sodium) auxquels elle consacre un rapport de 30 pages. En juillet 2011, elle reçoit son diplôme officiel de Bachelor de l'université de Chengdu à l'age de 22ans, ayant déjà acquis une solide formation multidisciplinaire (mathématiques, physique, chimie, matériaux, technologie générale et plasturgie). 

En prévision du Master qu'elle voulait entreprendre par la suite, elle rencontre Koh-Hei Nitta au cours de sa troisième année de Bachelor à l'occasion d'un congrès auquel il participe à Wuhan. Pour cela elle doit faire un "petit" voyage en train de 7 heures. Nitta a en effet l'habitude de recruter de bons étudiants en Chine. Il discute avec elle pendant 2 heures au cours d'un repas et elle reçoit finalement l'accord de l'université de Kanazawa en même temps que sa remise de diplôme. Mlle Li a donc franchi le pas décisif, mais elle n'est pas au bout de ses peines. En effet, elle ne parle pas un mot de japonais (qui n'a rien à voir avec le chinois). Elle doit donc suivre à Chengdu une formation linguistique intensive de trois mois (japonais oral et écrit) tout en continuant à perfectionner son anglais.

Alors c'est le départ du pays natal dont elle n'apprécie plus le mode de vie hyper stressé et l'environnement pollué par le développement industriel à outrance. Pour elle, le Japon représente un art de vivre différent qui l'attire beaucoup. La rentrée universitaire à Kanazawa ayant lieu en avril, elle a donc trois mois pour peaufiner son japonais et préparer son installation. Heureusement sa famille a les moyens de payer ses droits universitaires (élevés au Japon) et la location d'un petit studio à la résidence internationale des étudiants (là où nous habitons aussi). Et c'est parti pour ce cycle de Master de deux ans ! En première année, le cursus prévoit deux cours de 1h30 par jour pendant un semestre puis un cours par jour pendant le second semestre. A cela s'ajoutent les cours de perfectionnement en japonais et le début d'un projet de recherche qui s'étend sur les deux années. Dès décembre 2012, Nitta lui paie un déplacement en Thaïlande (à Pattaya) pour un congrès scientifique où elle présente dans un poster en anglais le début de ses résultats sur l'analyse statistique de la rupture ductile du polypropylène en traction. 

2013 05 20 - Soirée d'intégration 2013 05 20 - En salle de réunion
2013 05 20 - Au labo 2013 05 20 - Au cours

Le Japon plaît beaucoup à Mlle Li, surtout la vie à Kanazawa, cette ville provinciale chargée d'histoire et entourée de collines verdoyantes dont le paysage change à chaque saison. Rien à voir avec les villes chinoises trépidantes qui poussent comme des champignons ! 

En avril 2013, alors que nous arrivons au Japon, c'est le début de la seconde année de Master pour Mlle Li. Cette fois, à part le cours de japonais qui continue, le cursus est tout entier consacré au projet de recherche… et à mes séminaires en anglais sur la mécanique des polymères, dont elle ne manque pas une séance. Une première épreuve l'attend le 30 mai prochain où elle devra présenter à Tokyo un exposé de 20 minutes sur ses résultats devant un jury de professeurs. Si tout se passe bien, elle devra alors rédiger un mémoire détaillé (appelé "Graduation Paper"), qu'elle soutiendra officiellement en février 2014 pour obtenir son diplôme. Toutefois, entre-temps, elle aura à approfondir son sujet et le présenter en octobre 2013 lors d'un autre congrès à Koyto auquel Nitta participera aussi. J'ai du mal à imaginer que nos étudiants français de Master soient prêts à franchir un tel parcours d'obstacles ! 

Mais alors, Mlle Li va-t-elle s'inscrire en doctorat (PhD) une fois son Master en poche ? Que nenni ! En effet, elle a envie de rester au Japon et, ici, les entreprises préfèrent recruter des diplômés au niveau Master plutôt que des docteurs. De toute façon les jeux sont faits, car Mlle Li a déjà trouvé un travail à ce jour ! En effet la société Toray (Battery Separator Films) l'a pré-recrutée pour travailler comme ingénieure de R&D dans son centre de recherche de Nasushiobara (dans la province de Tochigi, au nord de Tokyo). Dans ce site idyllique entouré de montagnes fleuries, le géant industriel Toray développe avec Du Pont de Nemours des batteries polymères-ions de dernière génération pour l'alimentation d'appareils électroniques et d'automobiles. Alors, l'avenir de Mlle Li est tout tracé. 

2013 05 20 - Gros plan 2013 05 20 - Contre-jour

Mais au fait, comment le voit-elle, cet avenir ? Rester au Japon, certainement. La vie y est plus agréable qu'en Chine, m'assure-t-elle, surtout avec un salaire de démarrage de 227.000 ¥ par mois (environ 1.700 €), plus un bonus annuel, plus la sécurité sociale. Arrivée chez Toray, elle suivra une formation spécialisée de six mois qui lui permettra d'accéder à un poste à responsabilités. Et quid de sa vie personnelle ? Pour voir ses parents, pas de problème, dit-elle. C'est plus court d'aller en avion a Wenzhou depuis Tokyo que depuis Chengdu, par exemple. Quant à fonder une famille, elle y pense déjà. Elle rêve de rencontrer un gentil chinois expatrié lui aussi près de Tokyo. Mlle Li n'a pas très confiance en elle-même mais comme le montre sa trajectoire, elle n'est pas timide pour autant. Et avec son joli sourire, elle saura bien faire craquer un homme "smart" (selon son propre critère), plein d'idées et très attentionné, qui saura lui "donner la main" pour mener au mieux sa vie professionnelle et son épanouissement personnel. Et pourquoi pas un gentil japonais ? Bien qu'elle veuille rester ici, Mlle Li entend s'intégrer dans une communauté chinoise. C'est une tendance très courante parmi ses compatriotes dans tous les pays du monde, notamment aux USA. Et puis, dit-t-elle non sans malice, elle n'accorde qu'une confiance toute relative aux jeunes japonais. A priori ils sont très accueillants, mais ils sont toujours susceptibles de vous critiquer par derrière si çà les arrange…

Publié dans 2013 - JAPON

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article