Cérémonie du thé chez M. Ueda

Publié le par gsell

Lors de l'assemblée générale de l'association franco-japonaise de Kanazawa, le 20 avril, nous avons été présentés à M. Akira Ueda, conseiller municipal de la ville, qui nous a tout de suite réservé un accueil très chaleureux. Malheureusement, il ne parlait pas un mot d'anglais (ni de français d'ailleurs), mais nous pouvions toutefois communiquer avec lui par le truchement de M. Yamada qui, décidément, fut notre "ange gardien" tout au long de notre séjour nippon.

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M. Ueda est déjà un vieil homme, mais apparaît comme doté d'une grande force intérieure et d'un sens aigu de la communication. De toute évidence, c'est une personne aisée car il descend d'une famille d'agriculteurs spécialisés dans la culture du riz. Il semble que ses ancêtres aient possédé de très vastes rizières dans toute la zone sud-est de la ville. Ainsi, au fur et à mesure que l'urbanisation se développait, la famille abandonna progressivement l'activité agricole et vendit ses terrains à des promoteurs immobiliers. Très aisé, le père de M. Ueda profita de chaque transaction pour investir dans des projets d'aménagement, de sorte que son fils se retrouva propriétaire d'un solide patrimoine constitué de logements, de locaux commerciaux et d'un restaurant dont la gestion lui permit de bénéficier de revenus confortables. Malgré tout, M. Ueda garde encore aujourd'hui une certaine simplicité, couplée à une classe naturelle. Après avoir discuté avec lui, il me fit savoir par M. Yamada qu'il nous invitait à venir chez lui le 5 mai, à l'occasion du grand week-end férié (du 3 au 6) où l'université est fermée. C'est vers 17h00 que M. Yamada nous y conduisit. 

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La maison de M. Ueda, dont il a hérité de ses ancêtres riziculteurs, est un exemple remarquable d'architecture traditionnelle en bois et torchis. Elle se situe à l'extrémité d'une petite ruelle où les voitures ont du mal à se croiser, est entourée d'un petit terrain. Cette exigüité de l'espace peut sembler étonnante s'agissant de la demeure d'une famille de propriétaires terriens, mais il semble que ce soit comme cela que l'on concevait sa résidence autrefois. Sur le pas de la porte, comme partout au Japon y compris dans notre petit studio, nous enlevons nos chaussures pour passer des chaussons d'intérieur. Il faut dire que cette coutume relève d'une tradition qui établit une distinction entre les endroits "sales" (extérieur notamment mais aussi les toilettes) et les endroits "propres" (intérieur des maisons au sol couvert de parquet et/ou de tatamis). Je recommande donc à tous ceux qui vont au Japon de se munir de mocassins afin d'éviter comme ce fut mon cas de passer son temps à lacer et délacer ses souliers. Sitôt introduits dans la maison, nous sommes frappés par son agencement, avec des cloisons coulissantes entre une vaste pièce centrale et des espaces périphériques à usage multiple (à l'exception de la cuisine qui est agencée selon les normes modernes). Akira Ueda est visiblement très fier de sa maison et cela est justifié. Les matériaux sont nobles (bois, tissus, papiers translucides, poutres, foyer central dans la salle de séjour et dans la salle de thé, etc.) Pas de mobilier haut mais des tables basses entourées de petits coussins plats, des vitrines contenant des objets précieux et des petites niches ornées de fleurs et d'inscriptions traditionnelles. Que les spécialistes m'excusent de décrire tout cela de manière très matérialiste alors que chacun de ces des éléments correspond à des traditions séculaires, répond à des appellations bien codifiées et contribue à créer un climat de quiétude et de confort propice à la recherche de la paix intérieure.

Derrière une porte coulissante se trouve une petite salle dédiée au culte des ancêtres et des dieux de la maison. Aux murs sont effectivement suspendus des cadres où figurent les photographies du père et du grand-père du propriétaire des lieux, ainsi que de leurs épouses. Des visages graves et pleins de respectabilité. Dans une sorte de placard orné de feuilles d'or fin et d'objets en céramique se trouvent les symboles de quelques divinités. Il faut dire que le culte Shinto associe des dieux à une multitude de lieux, d'objets et de symboles, depuis les éléments naturels (eau, air, montagnes, océans, plantes, animaux, etc.) jusqu'aux espaces domestiques. Au total, près de 800 divinités sont honorées au gré des périodes de l'année, des événements de la vie et des endroits que l'on fréquente. En somme, les dieux sont partout et nous accompagnent dans tous les épisodes de notre vie… voire au-delà. Le Bouddha, pour sa part, n'est pas un dieu. C'est un prince qui vécut vers le Népal au sixième siècle avant Jésus Christ. Même son nom (Siddharta Gautama) prête à discussion et il est difficile de relater son histoire tant sa personne fut magnifiée par la tradition. Il semble toutefois que ce prince renonça à la fortune et aux honneurs dus à son rang pour s'adonner à la méditation, au service des plus faibles et à la recherche de la sérénité. Toutes ses représentations statuaires reflètent effectivement une personnalité paisible et une spiritualité exceptionnelle. On pourrait penser que tous les adeptes de cette "religion" devraient naturellement reproduire la même tolérance que leur modèle, mais l'humanité est ainsi faite que des pulsions guerrières réussissent à émerger, même dans un peuple aussi attaché à la tolérance, comme l'ont montré certains épisodes de l'histoire du Japon, et notamment l'impérialisme barbare qui y marqua le début du 20e siècle.   

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Après cette visite des lieux, M. Ueda nous invite à nous installer dans le salon de thé, une petite pièce décorée avec goût et au centre de laquelle de l'eau frémit dans pot chauffé par des braises. Nous inviter à participer à la "cérémonie du thé" est un grand honneur au Japon car très peu de gens, de nos jours, possèdent une pièce où une maison de thé dévolue à cet usage et, en tout état de cause, connaissent le rituel codifié de la cérémonie. En principe, nous devrions nous asseoir autour du foyer dans la position "seiza" à genoux sur le tatami et les fesses reposant sur les talons. Toutefois M. Ueda sait bien que pour des personnes non expérimentées comme nous, cette position est un vrai supplice et nous assure que nous pouvons nous asseoir comme il nous plaît, en tailleur par exemple, ce qui est déjà plus confortable. Le rituel est si strict que le "maître du thé" (en l'occurrence la "maîtresse du thé") est une personne spécialement formée à cette pratique au terme de plusieurs années d'études fondamentales. Cette femme, d'un âge certain, est vêtue d'un kimono traditionnel. Elle a été spécialement requise par le propriétaire pour assurer cette fonction en notre honneur. Le thé vert est préparé à partir d'une poudre très fine dans une théière où l'eau chauffée sur les braises est versée avec une petite louche en bambou. Pendant que le thè infuse, les convives sont invités à partager des petits gâteaux. Ce sont des friandises légères et assez sucrées que l'on découpe traditionnellement avec une baguette en trois parties. Chacun a donc une petite part, au goût très fin cependant.

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Le thé thè est alors à point, le mélange est délicatement brassé avec un petit fouet sculpté d'une seule pièce dans une tige de bambou. La maîtresse du thé fouette le mélange jusqu'à ce que se forme une sorte de mousse verte. En principe, selon le rituel traditionnel, tous les invités de la cérémonie devraient boire dans le même bol qu'ils se passeraient de l'un à l'autre avec des gestes très précis en opérant une certaine rotation lorsqu'il change de mains. Pour nous, afin sans doute de nous simplifier le rituel, un petit bol a été prévu pour chacun. Nous portons successivement notre bol à notre bouche pour boire ce thé assez fort et un peu amer. Tout le cérémonial est opéré avec beaucoup de gentillesse et avec quelques paroles de sympathie prononcées très doucement. Nous sommes frappés par l'ambiance "zen" que cette pratique codifiée crée au sein de notre petit groupe. Tout au plus avons-nous le goût de prononcer quelques mots d'appréciation sur les rouleaux de parchemin qui décorent la pièce où des "kanjis" traditionnels sont dessinés à l'encre noire avec des pinceaux épais afin de rappeler les principes millénaires du culte bouddhiste. Présenté ainsi avec nos mots d'occidentaux assez matérialistes, la cérémonie du thé pourrait sembler une manière bien compliquée pour prendre une boisson chaude. Aussi je doute que mes lecteurs puissent réaliser combien cette rencontre constitua pour nous un moment de convivialité sereine et pleine de respect. En ce qui nous concerne, nous réalisons la chance que nous offrait notre hôte pour avoir préparé tout cela spécialement pour nous.  

Une fois terminée la cérémonie proprement dite nous faisons une petite pause dans le superbe jardin qui entoure la maison. A l'extérieur du salon de thé, une petite fontaine laisse couler un filet d'eau fraîche où nous sommes invités à des ablutions symboliques de nos lèvres et de nos mains, signe de purification. Au passage, nous avons une vision plus explicite de l'agencement de ce jardin japonais très exigu mais dont les divers éléments (buissons taillés,  plantes à fleurs, allées en gravier, parterres de mousse, etc.) sont disposés de telle sorte que le regard s'élève au fur et à mesure que son point de vue se rapproche du mur d'enceinte, donnant à l'ensemble une harmonie remarquable. 

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Après cette expérience exceptionnelle il est temps de dîner. Le repas est servi dans la grande pièce centrale, au milieu de laquelle brûle du charbon de bois dans un puits plus grand que celui de la salle de thé. Il faut dire que celui-ci est destiné à griller des poissons sous la direction expérimentée du maître de maison. Ces mets croustillants sont complétés par tout un ensemble de spécialités servies dans des petits plats (soupes, petits légumes, sauces, etc.) Tout est délicieux. Nous avons même droit à une spécialité japonaise un peu déroutante pour nos palais occidentaux : des poissons cuits dans du saké chaud. En fait, les poissons ne sont pas prévus pour être mangés mais seulement pour donner un certain goût au saké… bof ! Nous y trempons toutefois les lèvres pour satisfaire à la tradition. Tout ce repas est l'occasion de discussions amicales dans une ambiance très détendue avec M. et Mme. Ueda, leur fille Tomoko, leurs trois petits-enfants qui s'en donnent à cœur joie autour de nous (c'est pareil que chez nous) et l'irremplaçable M. Yamada.

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Au terme de ce dîner et des échanges qu'il suscite, nous pensons que M. Yamada nous ramènera directement à notre studio. C'est sans compter avec l'incroyable hospitalité de nos hôtes. M. Ueda donne congé à M. Yamada qui repart chez lui avec sa voiture, tandis que nous restons seuls avec la famille Ueda. Nous sommes conduits dans une annexe où se trouve dans une petite maison d'hôtes parfaitement aménagée avec une entrée, une kitchenette, une douche, des toilettes et une mezzanine équipée d'un grand futon couvert d'une couette très confortable. C'est ainsi que M. Ueda nous souhaite une bonne nuit en tant qu'invités de la maison. Tout est beau. Tout est calme. Tout est "zen". La nuit est très paisible !

Publié dans 2013 - JAPON

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